jeudi 27 avril 2017

Making of d'une double page .

Tout d'abord, un grand merci à celles et ceux qui sont venus nous voir en dédicace , d'autres dates vont être annoncées , pour les consulter vous pouvez aller faire un tour sur la page facebook.

Ces déplacements sont fatigants mais très enrichissants pour nous, l'occasion d'avoir vos retours et réactions sur les albums.

Concernant Collaboration Horizontale, vous êtes nombreux à avoir aimé la double page qui illustre le coup de foudre entre Rose et Mark. Du coup je me suis dit que ce serait sympa de vous expliquer comment j'en suis arrivée à proposer cette image là, quel a été le processus de « fabrication » .






D'une manière générale, la réalisation de cet album a été un challenge de taille pour moi , parce que j'ai du me détacher de tout ce que j'avais fait jusque là... D'une part utiliser les choses apprises, plus ou moins maîtrisées sur les albums précédents mais aussi m'en éloigner de temps en temps.

En recevant le synopsis de Navie je savais déjà (car c'était clairement une volonté de sa part) qu'à certains moments , pour certaines scènes , j'allais devoir m'éloigner d'un style de découpage classique et me rapprocher d'un mode de représentation moins réaliste et plus symbolique, limite abstrait à certains moments... S''éloigner du factuel pour mettre en image le ressenti des personnages.

Ça a été le cas pour les pages concernant entre autre Camille, le personnage aveugle de l'album dont j'ai du symboliser la cécité . ( Pas facile d'évoquer le ressenti d'un personnage aveugle sans pouvoir jouer sur l’ouïe, chose que l'on peut faire au cinéma mais pas en BD : il faut retranscrire les sons par le visuel à la manière d'onomatopées, ou par divers procédés graphiques : Une couleur, une forme peuvent évoquer un son , une odeur, des sensations de chaud, froids , de toucher... tout dépend de l'association que l'on fait...) .

(version non-corrigée...)


L'exercice de basculer dans un mode de représentation non classique est difficile car on va chercher à solliciter le lecteur sur le plan émotionnel, et on ne ressent pas tous les choses de la même manière... La difficulté est d'arriver à toucher de manière universelle sans tomber à côté des intentions de la scénariste tout en s'adressant à l'intime... Et.... c'est très dur...

Certaines émotions me sont assez faciles à illustrer : le bien être, la dépression, l'angoisse, la colère, la peur, la joie. Peut-être parce que ce sont des émotions qu'on a l'habitude de voir mises en image... Mais le coup de foudre... ?

Navie m'envoie son premier scénar non dialogué, un séquencier qui donne un aperçu de chaque scène et de ce qu'il s'y passe . Je sais que ça va pas être simple ...
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Je décide que cette double page fera partie des premières que je mettrai en couleur . Et je sais aussi que je reviendrai dessus à la fin...On revient toujours sur les premières pages colorisées, histoire d'avoir un rendu homogène sur la totalité de l'album . Donc je fais un premier test, au moins pour la version storyboardées.



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Je reçois entre temps un peu plus d'indications :




Je fais par la suite, assez rapidement un test couleur... Pas convainquant, ni pour moi, ni pour Navie, on trouve ça « bien », « sympa », « jolie »... 


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En gros ça "fait le job" mais rien de transcendant... Ni pour moi ni pour ma scénariste.



Ça évoque quoi chez vous, le coup de foudre ? Difficile de « brainstormer » là dessus...

Posez la question à vos amis, vous verrez que vous obtiendrez des réponses très variées et différentes selon les cas.
Pour moi c'est un bref moment, suspendu dans le temps durant lequel on focalise sur la personne, et tout le reste n'a plus d'importance, le décors, les gens autour disparaissent on ne les entend plus, on ne les voit plus... On va focaliser sur un regard, un geste... Il y a une telle distorsion de perception du contexte et de la personne qu'on a en face de sois qu'on est même souvent surpris lors du deuxième rendez-vous...

Peut-être que moi je le ressens ainsi, mais ce ne sera pas forcément le cas de Navie ou des lecteurs... Je ne suis pas dans leur tête !
Je n'ai pas encore beaucoup d'expérience dans le métier mais j'applique une règle assez simple lorsque je me retrouve confrontée à ce genre de problème : Plus l'on s'éloigne du réalisme , plus on joue avec et plus on parvient à solliciter l'imaginaire du lecteur . Il faut faire en sorte qu'il devienne lui même actif, ça veut dire « suggérer, ne pas tout donner à voir, pour qu'il puisse s'approprier l'histoire, se projeter plus facilement dans la situation...

J'ai décidé pendant un petit moment, le temps d'avancer sur le reste du récit de laisser de côté cette double page qui nous pose problème...

Et puis, et puis... Je travaille sur d'autres pages un peu symboliques qui me donne des pistes sans que je m'en rende vraiment compte... Il y a un élément graphique qui revient souvent un peu partout, c'est le cœur… Je l'ai placé dans la double page mais peut être pas comme il faut, peut-être pas « où il faut...

Vers la fin de l'album je travaille sur cette pleine page (désolée pour le spoil) :

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j'y trouve quelque chose d'intéressant graphiquement, ça fonctionne... Il 'n y a plus de décors , on est focus sur le ressenti de Rose qui , à ce moment du récit ,est effondrée et il nous reste que sa silhouette blanche salie par des griffoneries. J'y gagne vraiment avec un mode de représentation plus sobre .

J'applique la recette sur ma double page « pour voir si ça marche ». C'est risqué. : Pour la page de Rose, je devais montrer un personnage dévastée, anéanti et sur ma double page, le sentiment que je dois illustrer est au antipodes de celui-là...
Je fais quand même plusieurs tests que je montre à Navie par la suite.




Et ça fonctionne , deux cœurs qui battent dans des silhouettes désincarnées ...Le décors suggéré via les lignes de fuite . Après quelques réglages, ça fonctionne aussi pour l'éditrice on valide .





Et visiblement, ça fonctionne aussi sur vous:)


Vous savez ( presque ) tout !

3 commentaires:

Unknown a dit…

Bonjour !

Je viens de tomber sur ton blog via le site de MadmoiZelle où j'ai découvert Navie.
Donc je voulais te dire FELICITATIONS pour ce sublime dessin ! C'est de l'aquarelle à la base ou tout est en numérique ?
Super hâte d'avoir la BD entre mes mains en tout cas !

Carole Maurel a dit…

Merci Micka !!N'hesite pas à nous faire un retour lorsque tu auras lu l'album, on adore ça !

Pour la technique c'est un peu un mix des deux...il y a un fond texturé fait à la main avec de l'encre sur papier aquarelle , les personnages eux sont fait sur ordi, l'agencement des deux est fait sur ordi aussi :)

Bises !

Carole Maurel a dit…

Je copie-colle ici le commentaire d'une lectrice que j'ai involontairement supprimé suite à une erreur de manip'.
Merci Estelle pour ce commentaire :
"Bonjour, j'ai découvert ton travail sur Instagram il y a quelques temps et je viens seulement d'avoir la curiosité de regarder ton blog aussi. J'adore tes illustrations, et surtout j'ai adoré lire cet article. Merci de partager avec nous tes secrets de fabrication, c'est captivant... Je n'ai pas encore lu ta BD, mais je vais m'empresser de la dégoter, elle a l'air très belle !"