Tout d'abord, un grand merci à celles et ceux qui
sont venus nous voir en dédicace , d'autres dates vont être
annoncées , pour les consulter vous pouvez aller faire un tour sur
la page facebook.
Ces déplacements sont fatigants mais
très enrichissants pour nous, l'occasion d'avoir vos retours et
réactions sur les albums.
Concernant Collaboration Horizontale,
vous êtes nombreux à avoir aimé la double page qui illustre le coup
de foudre entre Rose et Mark. Du coup je me suis dit que ce serait
sympa de vous expliquer comment j'en suis arrivée à proposer cette
image là, quel a été le processus de « fabrication » .
D'une manière générale, la
réalisation de cet album a été un challenge de taille pour moi ,
parce que j'ai du me détacher de tout ce que j'avais fait jusque
là... D'une part utiliser les choses apprises, plus ou moins
maîtrisées sur les albums précédents mais aussi m'en éloigner de
temps en temps.
En recevant le synopsis de Navie je
savais déjà (car c'était clairement une volonté de sa part) qu'à
certains moments , pour certaines scènes , j'allais devoir
m'éloigner d'un style de découpage classique et me rapprocher d'un
mode de représentation moins réaliste et plus symbolique, limite
abstrait à certains moments... S''éloigner du factuel pour mettre
en image le ressenti des personnages.
Ça a été le cas pour les pages
concernant entre autre Camille, le personnage aveugle de l'album dont
j'ai du symboliser la cécité . ( Pas facile d'évoquer le ressenti
d'un personnage aveugle sans pouvoir jouer sur l’ouïe, chose que
l'on peut faire au cinéma mais pas en BD : il faut retranscrire
les sons par le visuel à la manière d'onomatopées, ou par divers
procédés graphiques : Une couleur, une forme peuvent évoquer
un son , une odeur, des sensations de chaud, froids , de toucher...
tout dépend de l'association que l'on fait...) .
|
(version non-corrigée...) |
L'exercice de basculer dans un mode de
représentation non classique est difficile car on va chercher à
solliciter le lecteur sur le plan émotionnel, et on ne ressent
pas tous les choses de la même manière... La difficulté est
d'arriver à toucher de manière universelle sans tomber à côté
des intentions de la scénariste tout en s'adressant à l'intime...
Et.... c'est très dur...
Certaines émotions me sont assez
faciles à illustrer : le bien être, la dépression,
l'angoisse, la colère, la peur, la joie. Peut-être parce que ce
sont des émotions qu'on a l'habitude de voir mises en image... Mais
le coup de foudre... ?
Navie m'envoie son premier scénar non
dialogué, un séquencier qui donne un aperçu de chaque scène et
de ce qu'il s'y passe . Je sais que ça va pas être simple ...
*
Je décide que cette double page fera
partie des premières que je mettrai en couleur . Et je sais aussi
que je reviendrai dessus à la fin...On revient toujours sur les
premières pages colorisées, histoire d'avoir un rendu homogène sur
la totalité de l'album . Donc je fais un premier test, au moins pour
la version storyboardées.
*
Je reçois entre temps un peu plus
d'indications :
Je fais par la suite, assez rapidement
un test couleur... Pas convainquant, ni pour moi, ni pour Navie, on
trouve ça « bien », « sympa », « jolie »...
*
En gros ça "fait le job" mais rien de transcendant... Ni pour moi ni pour ma scénariste.
Ça évoque quoi chez vous, le coup de
foudre ? Difficile de « brainstormer » là dessus...
Posez la question à vos amis, vous
verrez que vous obtiendrez des réponses très variées et
différentes selon les cas.
Pour moi c'est un bref moment, suspendu
dans le temps durant lequel on focalise sur la personne, et tout le
reste n'a plus d'importance, le décors, les gens autour
disparaissent on ne les entend plus, on ne les voit plus... On va
focaliser sur un regard, un geste... Il y a une telle distorsion de
perception du contexte et de la personne qu'on a en face de sois
qu'on est même souvent surpris lors du deuxième rendez-vous...
Peut-être que moi je le ressens ainsi,
mais ce ne sera pas forcément le cas de Navie ou des lecteurs... Je
ne suis pas dans leur tête !
Je n'ai pas encore beaucoup
d'expérience dans le métier mais j'applique une règle assez simple
lorsque je me retrouve confrontée à ce genre de problème :
Plus l'on s'éloigne du réalisme , plus on joue avec et plus on
parvient à solliciter l'imaginaire du lecteur . Il faut faire en
sorte qu'il devienne lui même actif, ça veut dire « suggérer,
ne pas tout donner à voir, pour qu'il puisse s'approprier
l'histoire, se projeter plus facilement dans la situation...
J'ai décidé pendant un petit moment,
le temps d'avancer sur le reste du récit de laisser de côté cette
double page qui nous pose problème...
Et puis, et puis... Je travaille sur
d'autres pages un peu symboliques qui me donne des pistes sans que je
m'en rende vraiment compte... Il y a un élément graphique qui
revient souvent un peu partout, c'est le cœur… Je l'ai placé dans
la double page mais peut être pas comme il faut, peut-être pas « où
il faut...
Vers la fin de l'album je travaille sur
cette pleine page (désolée pour le spoil) :
*
j'y trouve quelque chose d'intéressant
graphiquement, ça fonctionne... Il 'n y a plus de décors , on est
focus sur le ressenti de Rose qui , à ce moment du récit ,est
effondrée et il nous reste que sa silhouette blanche salie par des griffoneries. J'y gagne
vraiment avec un mode de représentation plus sobre .
J'applique la recette sur ma double
page « pour voir si ça marche ». C'est risqué. :
Pour la page de Rose, je devais montrer un personnage dévastée,
anéanti et sur ma double page, le sentiment que je dois illustrer
est au antipodes de celui-là...
Je fais quand même plusieurs tests que
je montre à Navie par la suite.
Et ça fonctionne , deux cœurs qui
battent dans des silhouettes désincarnées ...Le décors suggéré
via les lignes de fuite . Après quelques réglages, ça fonctionne
aussi pour l'éditrice on valide .
Et visiblement, ça fonctionne aussi
sur vous:)
Vous savez ( presque ) tout !